Berthe RETAILLEAU, épouse GERBAUD

Née le 27/11/1930, 6 route du Lac, à Savenay

« Mon père Pierre Retailleau , né à Bouvron et Marie, sa femme, née à Fay, se sont mariés en 1921. Ils habitent d’abord à Bouvron dans une petite ferme. Marie, ma soeur, mariée à Louis Bertrais, y est née en 1923.

Par le biais des foires et marchés sur Savenay, mes parents apprennent qu’une ferme est libre au château de l’Escurays, appartenant au Comte Joseph de Maistre et Madame Odette de Rochechouart.

Ils arrivent à l’Escurays le 1er novembre 1926, dans la ferme de la Châtaigneraie.

Ferme de onze hectares trente-cinq ares, avec des bâtiments agréables mais avec des terres éloignées les unes des autres. Ils resteront neuf ans dans cette ferme jusqu’à la Toussaint 1935. Ma soeur Andrée naît en décembre 1926 et moi le 27 novembre 1930.

J’ai encore quelques souvenirs de cette ferme. Nos successeurs seront Francis et Elisabeth Tessier, Elisabeth étant la soeur de Mathilde, la « bonne » de l’Escurays.
Puis, mes parents arrivent dans la ferme de l’Escurays qu’on appelait la « ferme de la Porte de l’Escurays ». Ils y resteront du 1er novembre 1935 jusqu’au 31 octobre 1958. A leur retraite, ils retourneront dans leur petite ferme de la Gavalais à Bouvron, héritée et agrandie par quelques achats. C’est Jean Judic, originaire de l’Hôtel-Ové, qui auparavant habitait cette ferme. Elle était meilleure que celle de la Châtaigneraie, plus grande, vingt-quatre hectares environ, et surtout les terres étaient plus groupées autour des bâtiments de la ferme. Par contre, les bâtiments étaient moins bien, avec seulement une grande pièce comprenant la cuisine avec la cheminée, le lit pour les parents et d’autre part une autre petite chambre pour les trois filles.

En 1958, mes parents seront remplacés par Jean Tessier (fils de Francis et Elisabeth) et Yvonne Mahé, sa femme. Par la suite, Jean et Yvonne Tessier achèteront la ferme de l’Escurays et se feront construire une maison au bord de la route.
Il y avait une troisième ferme au château de l’Escurays, c’était la ferme du ClosFouché, avec de belles étables. Elle était louée à Alfred Bugel, puis à son fils Raymond qui habite actuellement à la Ramée.

Dans ces deux fermes, mes parents étaient fermiers et non métayers. Le fermage était basé sur des denrées : vingt-et-un quintaux de blé, quatre quintaux de sarazin et deux mille litres de lait correspondant en 1957 à cent trente – deux mille soixante-dix-huit francs de l’époque, revalorisable selon le prix des denrées, avec un minimum fixe. Mais chaque année à la Toussaint, il fallait quand même donner, en plus, six poulets, du vin, du blé pour emporter chez le meunier, du sarazin et chaque jour du lait pour la consommation quotidienne des propriétaires.

On vivait en complète autarcie à l’époque avec le cochon, le lait, les légumes, le bois de chauffage. On a très rarement acheté du charbon. On devait nettoyer les haies, émonder les arbres mais ne jamais abattre un arbre, sauf s’il présentait un danger ou s’il était mort. Le bois était alors pour nous.

Mes parents n’ont jamais acheté de matériel à moteur. A la ferme de la Chataignerie, c’était les boeufs, puis deux ou trois chevaux à la ferme de l’Escurays. On s’entraidait avec les autres agriculteurs.
Le comte et la comtesse ont toujours été corrects avec nous, mais il fallait garder une grande politesse. On était obligé de se rencontrer souvent, tous les jours. Ils étaient imposants tout en étant « familiers ». Ils nous appelaient par notre prénom et non par notre nom. On avait le droit de recevoir qui on voulait chez nous sans restriction, à condition que les invités soient corrects. Nous avions aussi des commis. Monsieur le comte Joseph de Maistre surveillait tout. C’était une surveillance « amicale », mais il ne laissait rien passer. Il vérifiait tout. Toutefois, il faisait confiance à ses fermiers pour la conduite des travaux de la ferme. Vers les années 1951, madame la comtesse a employé comme gardien et cuisinière François Belloeil et sa femme Léonie. Ils habitaient la petite cuisine située à l’arrière du château où vivait Raymond de Maistre. Ils devaient avoir une chambre à l’étage. Ils sont restés là plusieurs années, remplacés par la suite par Henri Trémoureux et sa femme.

Pendant la guerre, les Allemands étaient à l’Escurays. L’état major était dans le château, rarement plus de trois ou quatre officiers. Ils occupaient le petit et le grand salon situés de chaque côté de l’escalier. La grande pièce avec la grande cheminée en granit restait aux propriétaires. La troupe se trouvait dans les bois entre l’allée ouverte sur la route de Campbon et les arrières de la ferme de l’Escurays où nous habitions. Il y avait d’ailleurs un petit chemin entre l’allée et la ferme qu’on utilisait après la guerre. Il pouvait y avoir jusqu’à cent soldats dans les bois, durant une à plusieurs semaines. Ils repartaient puis revenaient quelques semaines plus tard. On les entendait arriver déjà quand ils descendaient la Chudais. On n’a pas eu de problème. Les Allemands interdisaient aux propriétaires et à quiconque de monter dans la tour. Ils ont toujours été corrects avec nous mais j’ai toujours eu peur d’eux. On n’a jamais vu de blessés.

Dans la bibliothèque actuelle, durant la guerre, après les bombardements de 1942, une famille de réfugiés s’y est installée. Il s’agissait de monsieur et madame Hervy, des retraités, avec leur fille célibataire qui avait environ trente ans. D’ailleurs, il y avait beaucoup de réfugiés sur Prinquiau. Leur entrée se trouvait côté jardin et ils n’avaient pas le droit d’aller vers le « bûcher » pas plus qu’ils n’avaient le droit de recevoir qui que soit, même pas leurs petits-enfants. Ils vivaient dans la « bibliothèque ». Quand la comtesse de Rochechouart voulait un livre, elle allait le chercher dans cette pièce qui faisait fonction de cuisine, séjour et chambre à coucher.
Pendant la guerre, on a souffert des réquisitions, même déjà avant la « Poche de SaintNazaire ». Les Allemands se servaient, demandaient de la nourriture, prenaient les chevaux, le bétail, les vélos qu’on cachait le plus possible dans des greniers sans échelle ou sous des mulons de foin…Tout le monde se suspectait, croyant être dénoncé par tel ou tel. On avait peur. On avait peur aussi de certains maquisards qui, au lieu de faire de la résistance, volaient des personnes la nuit sous la menace des armes, comme c’est arrivé dans la ferme de Beauregard à Prinquiau.

La tour fut très abîmée durant la guerre. Après la guerre, Ernest Guillo refuse de monter sur la tour pour réparer la toiture. La tour est alors détruite, à mon avis, entre 1945 et 1947, par André Montfort de Donges. Elle est fermée par une terrasse en béton pour éviter les inondations.

Les « petites écuries » ont toujours été bien entretenues. C’étaient pour les chevaux du comte, mais moi je n’ai jamais vu les chevaux, seulement la calèche, les harnais.
Monsieur de Maistre avait une automobile noire qu’il conduisait lui-même, mais il s’en servait peu.

Le « bûcher » comprenait deux pièces au rez-de-chaussée: la réserve à bois près du château et plus loin, au fond, la cave.
Devant l’entrée du château, dans la cour, c’était de l’herbe. Quand l’herbe était haute, monsieur le comte disait à mon père de faire brouter l’herbe par ses vaches. On prenait soin de leur faire faire un petit tour d’abord, un peu plus loin, pour limiter la quantité de bouses devant le château et puis, on les laissait brouter environ une heure devant le château.

La mare, on l’appelait le « canardier ». Je n’ai jamais vu de canards. Peut-être, est-ce la végétation abondante autour qui rendait la mare sale ? Le lavoir était utilisé cependant. A côté, c’était le « pré au linge », car parfois, dans mon enfance, le linge séchait étendu sur l’herbe.

J’ai connu le père de la comtesse Odette de Rochechouart, prénommé Géraud, mais qui était appelé Gérard de Rochechouart. Il habitait Paris et, de temps en temps, il passait une semaine au château. C’était un bon marcheur. Il prenait le train et arrivait à pied de la gare de Savenay. Il partait souvent à pied jusqu’à Campbon. Il venait nous voir à la maison avec simplicité. Il était très agréable, parlait beaucoup avec mes parents, de politique en particulier, de la vie parisienne. Il s’intéressait à tout et nous parlait avec simplicité, sans se montrer supérieur.

Je me suis mariée en 1954 avec Robert Gerbaud.

Tels sont mes souvenirs

Berthe Retailleau, le 2 janvier 2014