Jean TESSIER

Né en 1933, rue de la Chataigneraie, à Prinquiau

A l’Escurays, j’ai d’abord vécu avec mes parents, Francis et Elisabeth Tessier, dans la ferme de « la Châtaigneraie » où ils étaient locataires à partir de 1935. C’est un peu Mathilde, ma tante, soeur de ma mère, qui a fait venir mes parents dans cette ferme. Elle était « bonne » au château de l’Escurays depuis ses dix-sept ou dix-huit ans. Elle le restera durant toute sa vie. Par la suite, la ferme de la Châtaigneraie sera achetée vers 1966-1967 en partie par ma sœur (sept hectares environ), le reste des terres sera remis en location.

Ma femme, Yvonne Mahé et moi, sommes devenus locataires de la ferme de la « Porte de l’Escurays » en 1958, après le départ de Pierre et Marie Retaillaud. Nous avons acheté la maison de la ferme en 1969, puis une partie des terres en 1972 : six hectares, (exactement cinq hectares neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ares !), et nous avions quelques hectares en location. En 1974, Yvon Guigand achète une partie de la ferme. Nous avons pris notre retraite dans les années 1990. Le reste de la ferme de la « Porte de l’Escurays », faite de terres agricoles et de bois, est alors loué à David Renaud. Ces terres et bois (vingt-deux hectares), attachées au château, appartiennent maintenant à la mairie.

J’ai connu dans mon enfance le père de la comtesse, le comte Géraud de Rochechouart, grand-père de Raymond de Maistre. Je me souviens d’un homme grand, sec, sympathique. Il me reste peu de souvenirs car j’avais dix ans à sa mort. La propriétaire était Madame la comtesse Odette de Rochechouart. On disait toujours « Madame la comtesse » en s’adressant à elle avec respect. Elle nous vouvoyait. Elle était assez stricte. On disait toujours « Monsieur le comte » et « vous » aussi à Monsieur le comte Joseph de Maistre mais par contre, lui nous tutoyait. Il était agréable avec nous, parlait facilement avec simplicité. Si on demandait des réparations à Madame la comtesse, elle disait toujours « non » d’abord, puis quelques jours après, elle venait nous voir et disait « oui ». Elle nous a toujours remboursé les frais engagés. Parfois même, elle venait prendre le café chez nous avec une certaine simplicité. Chaque année, nous allions payer le loyer à la Toussaint. Elle nous recevait dans son salon.


Durant la guerre, les Allemands étaient à l’Escurays, les officiers dans le château, les hommes de troupe dans les bois. Les soldats allemands ont souffert. Ils dormaient sur de la paille qu’ils avaient pris chez mes parents dans la ferme de la « Châtaigneraie », gratuitement bien sûr. Ils n’avaient pas de toit. Je les ai vus manger des patates crues. On les rencontrait partout. Enfants, nous passions même par-dessus eux quand ils dormaient sur la paille. Ils ne nous ont jamais fait de mal. Un jour, un Allemand avisant une génisse dans le troupeau m’a dit : « demain, on vient la chercher ». Le lendemain, elle était chez les allemands.


Par contre, nous mangions à notre faim. On alimentait en cachette les réfugiés, notre famille, mais jamais les Allemands, sauf de force. Il ne fallait pas être pris.
Après la guerre, on a retrouvé, dans les écuries des balles, des grenades à manchette.
Avec mon frère Marcel, on lançait les grenades après les avoir dégoupillées et ça explosait plus loin à bonne distance.
A partir des années 1951, la comtesse Odette de Rochechouart a eu un certain nombre de personnes à son service. Je me souviens de François Belloeil et sa femme vers les années 1950, de Jean Brossard et sa femme ensuite, de Abel Burnon vers les années 1958 et surtout de Henri et Aurélie Trémoureux à partir de 1963. Il avait une voiture et emmenait parfois Madame la comtesse en promenade. Elle a été heureuse avec eux. Ils sont restés longtemps, une dizaine d’années au moins.

Madame la comtesse est décédée au château en 1974. Ce fut son fils ensuite, « Monsieur Raymond» qui fut notre propriétaire. C’est moi qui l’ai trouvé, en premier, mort dans le château, le 29 décembre 1993.

                                                                               Jean TESSIER